Le Devoir: “Des échos du Québec dans les manifestations en Ukraine”
Avec son MacBook, dans son appartement montréalais, Adriana Luhovy a produit une vidéo procontestation et fondé un groupe Facebook où 1006 personnes de partout dans le monde échangent et traduisent des articles et des vidéos sur la révolution ukrainienne.

Comme des milliers de membres de la diaspora ukrainienne, la Montréalaise Adriana Luhovy participe à distance aux bouleversements qui secouent le pays de ses grands-parents

Un « bip » résonne toutes les cinq minutes dans l’appartement d’Adriana Luhovy, dans le Mile-End : ce sont des courriels, des textos et des messages sur Facebook venus d’Ukraine, où prend place une bataille politique qui fait autant de bruit dans les rues de Kiev que sur des écrans d’ordinateur partout dans le monde. Y compris à Montréal.

Les dizaines de milliers d’Ukrainiens qui manifestent depuis un mois contre le régime prorusse de Viktor Ianoukovitch comptent sur l’appui d’une partie de la diaspora ukrainienne de plus de 20 millions de personnes — dont environ un million au Canada. Des gens comme la Montréalaise Adriana Luhovy, vidéaste et graphiste de 25 ans, qui milite « jour et nuit » en faveur du mouvement de contestation qui secoue le pays d’origine de ses grands-parents.

« Ces manifestations ont ravivé la fierté des Ukrainiens. Comme bien des Ukrainiens nés à l’étranger, je me sens interpellée, ça vient me chercher aux tripes », raconte-t-elle, en gardant un oeil sur son ordinateur.

Avec son MacBook, dans son appartement montréalais, Adriana Luhovy a produit une vidéo procontestation de trois minutes et demie qui a été vue 11 368 fois sur YouTube depuis le 29 novembre. Elle a fondé un groupe Facebook où 1006 personnes de partout dans le monde échangent et traduisent des articles et des vidéos sur la révolution ukrainienne. Au cours de séjours en Ukraine, la jeune vidéaste a aussi contribué à un documentaire sur ce qu’elle appelle la « famine » et le « génocide » de la population ukrainienne par la Russie de Staline, en 1932 et 1933.

Un pays déchiré

Adriana Luhovy est née à Montréal, mais elle a grandi dans un bain de culture ukrainienne. Ses parents lui ont appris la langue et l’histoire de ce vaste pays de 45 millions d’habitants devenu indépendant en 1991, après l’éclatement de l’ex-Union soviétique.

Les manifestations qui secouent Kiev depuis un mois témoignent une fois de plus des déchirements de ce pays situé à cheval entre la Russie et l’Europe. La contestation a éclaté le 21 novembre, lorsque le président Viktor Ianoukovitch a annulé un important accord de partenariat avec l’Union européenne. Dans un virage à 180 degrés, Ianoukovitch a plutôt raffermi les liens avec la Russie de Vladimir Poutine. Le puissant allié a offert une aide de 15 milliards de dollars et un approvisionnement au rabais en gaz naturel. Une aubaine pour ce pays pauvre où le capitalisme sauvage a succédé à trois quarts de siècle de communisme.

Pour Adriana Luhovy, les manifestants de Kiev réclament davantage qu’un rapprochement avec l’Europe : c’est l’indépendance pure et simple de l’Ukraine qui est en jeu. « L’indépendance, l’identité, la fierté, la langue et la culture », précise-t-elle dans une phrase où se mêlent le français et l’anglais. Elle prend une bouchée dekobassa (saucisson) et une autre de makivnyk (gâteau) avant de poursuivre son récit.

Adriana a passé ses cinq derniers étés dans un orphelinat en Ukraine. Elle faisait du bénévolat. En août dernier, elle a eu un choc le jour de la fête nationale, à Kiev :« Tous les gens qui étaient sur la scène célébraient l’indépendance ukrainienne dans la langue d’un ancien occupant, en russe. J’ai trouvé ça très étrange. »

La Russie joue depuis toujours un rôle prépondérant en Ukraine. La langue officielle était le russe à l’époque de l’Union soviétique. Le russe reste la langue de la rue et d’une certaine élite. « Pour les jeunes, c’est cool de parler le russe. Mais on entend parler l’ukrainien dans les grandes manifestations. Ce mouvement stimule le sens de l’identité ukrainienne.

[Le président] Ianoukovitch se risque parfois à parler l’ukrainien, mais il a tellement de difficulté qu’il est la risée générale », raconte Adriana Luhovy.

« Je dis toujours que l’Ukraine devrait créer une loi inspirée du Québec : l’affichage en ukrainien devrait être deux fois plus grand qu’en russe », ajoute-t-elle en français.

Alerte à la violence

Adriana Luhovy n’a qu’une envie : monter dans le premier avion à destination de Kiev pour aller filmer les manifestations. Mais ses parents tentent de la décourager, parce que les journalistes et cameramen sont une cible de choix pour la police. Une cinquantaine de reporters ont été brutalisés depuis un mois dans les rues de Kiev. La journaliste Tetiana Tchornovol, qui enquêtait sur la corruption de représentants du gouvernement, est la dernière victime de cette campagne de terreur — elle a été sauvagement battue, mercredi soir. Plus de 50 000 personnes sont descendues dans la rue pour dénoncer cette agression, dimanche.

« Ianoukovitch a été poussé vers la sortie lors de la Révolution orange en 2004. Cette fois, il fera tout pour s’accrocher au pouvoir. Il n’a pas peur des manifestants », dit Adriana Luhovy.

Dans sa vidéo sur la contestation diffusée sur YouTube, Adriana Luhovy reprend des images où l’on voit la chanteuse Ruslana — une immense vedette en Ukraine — lancer un appel à la mobilisation. « Je lui ai envoyé la vidéo par Facebook, alors que Ruslana se trouvait en pleine manifestation. Elle m’a écrit pour me remercier. Ça m’a encouragée à continuer. »

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